Dupremier, il tenait le goût des marches solitaires dans les plis sinueux des vieilles capitales. Comme Mallarmé, il partait de ce principe qu'il faut « parler autrement que les journaux » et entendait se présenter, dans le moindre texte, lavé de toute banalité. Enfin, semblable en cela à Verlaine, qu'il connut également, il était sensible à « l'inflexion des voix chères qui se
TABLE DES MATIERES Chapitre 1. INTRODUCTION 2. PRESENTATION ET ANALYSE DU POEME LES FENETRES » DE CHARLES BAUDELAIRE 3. PRESENTATION ET ANALYSE DU POEME LES FENETRES » DE STÉPHANE MALLARMÉ 4. PRESENTATION ET ANALYSE DU POEME LES FENETRES » DE GUILLAUME APPOLINAIRE 5. PRESENTATION ET ANALYSE DU POEME LES FENETRES » DE MARIE KRYSINSKA 6. ETUDE COMPARATIVE DES QUATRE POEMES L’unité et les différences thématiques dans les quatre poèmes L’hétérogénéité générique et stylistique des quatre poèmes Les quatre poèmes et l’évolution des formes poétiques entre symbolisme et futurisme/surréalisme. 7. L’ORIGINALITE DE L’ŒUVRE DE KRYSINSKA ET L’ORIGINE DU VERS LIBRE 8. CONCLUSIONS BIBLIOGRAPHIE ANNEXES CHAPITRE 1 INTRODUCTION Charles Baudelaire 1821-1867, Stéphane Mallarmé 1842 -1898, Marie Krysinska 1857-1908 et Guillaume Apollinaire 1880-1918 ont pris pour thème Les fenêtres » dans leur poésie. Cette thématique commune est le point de départ de cette étude comparative et intertextuelle à partir des quatre poèmes suivants 1 Les fenêtres » de Charles Baudelaire dans Le Spleen de Paris XXXV, 1869. 2 Les fenêtres » de Stéphane Mallarmé dans Le Parnasse Contemporain, 1863/66. 3 Les fenêtres » de Marie Krysinska dans Rythmes Pittoresques, 1890. 4 Les fenêtres » de Guillaume Apollinaire dans Calligrammes, 1913-1916.[1] Nous chercherons à souligner ce qui distingue ces quatre textes en suivant l’évolution des formes poétiques entre Baudelaire et les débuts du symbolisme et le futurisme/surréalisme. Le thème commun Les fenêtres » permet en effet de mieux mettre en valeur l’hétérogénéité formelle qui sépare ces différentes voies poétiques » avec Baudelaire, la nouveauté du poème en prose ; avec Mallarmé, le renouvellement symboliste d’une forme plus classique ; avec Apollinaire, une forme simultanéiste inspirée du futurisme. Nous ne traitons pas du poème de Krysinska dans l'ordre chronologique pour deux raisons. La première est que cette étude porte avant tout sur les aspects thématiques et formels ainsi que sur les différences génériques et stylistiques qui distinguent ces quatre poèmes. Chaque poème fera l’objet d’une introduction, puis d’une analyse chapitres 2, 3, 4 et 5. Le chapitre 6 de l’étude présentera le contraste entre l’unité thématique des quatre poèmes et leur hétérogénéité formelle. Ce contraste permet de mieux comprendre l’évolution des formes poétiques entre symbolisme et futurisme/surréalisme. La deuxième raison est que nous chercherons à mettre en valeur l’originalité du poème de Krysinska. Si les trois autres poèmes sont déjà très connus et ont fait l'objet d'études comparatives.[2]En revanche celui de Krysinska n'est dans ce cadre jamais mentionné. En outre, son œuvre n’a guère retenu l’attention de la critique. Dans le chapitre 7, nous traiterons enfin de la question de l’origine du vers libre dans la poésie française dont l'invention est l'objet de maintes controverses. On étudiera l'apport de Marie Krysinska et le rôle significatif qu'elle a pu jouer dans l'avénement de cette nouvelle forme. Contre le discours officiel, elle s'est en effet présentée comme l’inventrice du genre. CHAPITRE 2 PRESENTATION ET ANALYSE DU POEME DE CHARLES BAUDELAIRE Les fenêtres » par Charles Baudelaire Introduction Le poème en prose Les fenêtres » par Charles Baudelaire se trouve dans le recueil Le spleen de Paris petits poèmes en prose.[3]Il fut tout d’abord publié le 10 décembre 1863 dans la Revue nationale et étrangère.[4]L’ensemble des poèmes en prose ne sera publié pour la première fois qu’en 1869 dans le tome IV des Œuvres complètes du poète, deux ans après sa mort.[5] Le poème et la poésie de la Modernité C’est en 1857 que Baudelaire songe à un recueil de textes en prose.[6]Dans une lettre à Arsène Houssaye, Baudelaire parle du Miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience. »[7] Dans le poème en prose le jeu des strophes reproduit celui de la disposition des objets ou des motifs ». Cette disposition sert de principe d’énonciation et de déploiement du poème ».[8]Ces poèmes présentent à la fois une discontinuité des fragments et une unité du tout poétique. Ainsi, d’un point de vue générique la poéticité du texte est constituée par 1 les effets descriptifs et allégoriques et non par la narrativité linéaire ; 2 l’importance accordée aux images qui sont au cœur de l’unité organique et de l’autonomie du poème ; 3 l’emploi des licences poétiques comme véritables figures ou effets poétiques et 4 la référence aux grands thèmes de la modernité, en particulier de la ville, l’imaginaire et les objets, les choses » de la vie courante.[9] La fenêtre est associée à la ville. Elle est un reflet de cet espace foisonnant et paradoxal de la modernité qu’est la grande ville ».[10]La fenêtre est le point de départ de la réflexion du narrateur sur la ville. Celle-ci est au cœur de la modernité qu’il ressent comme le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’eternel et l’immuable. »[11]Les vagues de toits » dans Les fenêtres » dépeignent l’expérience moderne de la grande ville, l’anonymat et l’indifférence qui la caractérisent.[12]C’est par-delà les vagues de toits » que le poète aperçoit une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. » Cette vieille femme rappelle la bonne vieille » du poème Le désespoir de la vieille » qui se retira dans sa solitude éternelle ».[13] La poésie de la Modernité inaugurée par le poète est donc celle d’un regard à la fois sur la ville et ses habitants. C’est dans ce sens que le poème en prose de Baudelaire constitue une révolution et ouvre une voie nouvelle dans l’art de la poésie. Baudelaire a l’ambition de faire du poème en prose la forme par excellence de la poésie moderne et urbaine ».[14] Les poèmes en prose, dans l’esprit de Baudelaire, restent toutefois dans la continuité de son œuvre poétique. On trouve de nombreux doublets entre les poèmes versifiés et les poèmes en prose tels que Les Crépuscules du soir » ou encore l’Horloge » qui portent des titres identiques pour chaque poème. Cette continuité se vérifie donc au niveau de la thématique des poèmes en prose. En comparant l’Invitation au voyage » dans sa version versifiée et dans les petits poèmes en prose, on trouve une très large communauté d’inspiration avec la reprise dans la prose des principaux réseaux thématiques du poème en vers ».[15]Les petites vieilles » rampent ou trottent dans les plis sinueux des vieilles capitales » ; elles cheminent à travers le chaos des vivantes cités ».[16] Les fenêtres » reprend le thème de la vieille dame ; le narrateur refait l’histoire de cette femme ». Analyse du poème Structure Les Fenêtres » de Charles Baudelaire est un poème de prose composé de cinq courts paragraphes. Deux paragraphes monophrastiques se trouvent entre les deuxième et cinquième paragraphes. L’observateur nous convie à une méditation sur le sens d’une existence et de ses souffrances. Dans le premier paragraphe l’auteur part du réel une fenêtre éclairée d’une bougie. Le paragraphe suivant nous fait découvrir une femme mûre » et la légende » de sa vie. Dans ce deuxième paragraphe et les trois qui suivent le poème est écrit à la première personne. Le poème devient plus personnel. Ce n’est plus quelqu’un d’anonyme qui regarde dans ce trou noir ou lumineux » mais un narrateur homodiégétique. Le dernier paragraphe s’adresse au lecteur et le fait participer à l’expérience, à la réflexion de l’observateur. Thématique Les thèmes dominants du poème sont ceux de la vision, la vie, la lumière, la souffrance.[17] Le poème manifeste une prédilection pour les contrastes. Contrastes entre ce qui est ténébreux et ce qui est éblouissant ; entre ce qu’on peut voir au soleil et ce qui se passe derrière une vitre. Contrastes entre la vie et la femme ridée ; entre ce qui est éblouissant et le trou noir ; entre la vie et la souffrance. Les antithèses abondent dès le premier paragraphe fenêtre ouverte/fenêtre fermée ; ténébreux/éblouissant ; ce qu’on peut voir au soleil/ ce qui se passe derrière une vitre ; trou noir ou lumineux. La fenêtre du poème est un objet mystérieux » et fécond ». Les antithèses nous font entrevoir un mystère qui se cache derrière la fenêtre. Dans trou noir ou lumineux », l’antithèse est marquée au moyen de la coordination ou ». Les contrastes aident le lecteur à suivre une progression de la fenêtre ouverte à celle qui est fermée ; de la femme mûre à sa légende ; de la légende à ce qui aide la poète à vivre. Dans le premier paragraphe, la fenêtre » devient une vitre » derrière laquelle vit la vie, rêve la vie, souffre la vie ». Le mot vitre » permet la transition dans la progression du poème vers ce qui est plus intéressant ». On peut noter l’allitération en v » qui accompagne cette transition. A partir du deuxième paragraphe le mot fenêtre » n’apparaît plus. Toute l’attention se porte sur la femme mûre ». L’observateur est à présent celui qui aperçoit cette femme, qui refait son histoire et se la raconte à lui-même. La vieillesse, la pauvreté et la solitude d’une femme ou d’un pauvre vieux homme » constituent une légende et nourrissent l’imagination du poète. La légende de la femme mûre fait pleurer le poète ; il participe à sa souffrance. Le texte offre un contraste entre le moi » ou moi-même » du poète et d’autres que moi-même », entre la réalité placée hors de lui et son être intime. Dans le dernier paragraphe le narrateur fait intervenir le lecteur. Ce dernier se pose la question de la véracité de la légende. La réponse du poète fait encore appel au contraste, à l’antithèse. Cette légende placée hors du poète l’aide pourtant à vivre, à savoir qu’il existe et ce qu’il est. C’est ce qui importe et non la véracité de la légende. La première partie du poème coïncide avec le premier paragraphe. Elle est marquée par la répétition du mot fenêtre ». Les trois premières phrases de ce paragraphe sont comparatives. Elles utilisent les trois comparatifs autant », plus » et moins ». Le comparatif plus » dans la deuxième phrase est répété à quatre reprises. Ce type de répétition ressemble à l’anaphore. Dans ce cas il s’agit plutôt de reduplications en début de syntagmes et qui créent des parallélismes et un effet d’insistance. Dans le premier paragraphe, l’insistance se porte sur le pouvoir évocateur de la fenêtre éclairée d’une chandelle ». Dans la première phrase le thème de la vision s’appuie sur les verbes regarder et voir. La répétition du mot plus » dans la deuxième phrase fournit à ce premier paragraphe une bonne part de sa poéticité ; cette structure syntagmatique crée un effet de progression avec une série d’homophonies – profond »/ fécond »/ mystérieux »/ ténébreux ». Elle se renforce sur le plan sémantique de ce qui est profond et mystérieux, ténébreux, vers ce qui est éblouissant. La troisième phrase remplace le mot fenêtre » par un de ses métonymes vitre ». Mais cette vitre est aussitôt décrite par la métaphore d’un trou noir ou lumineux ». Le premier paragraphe offre une transition entre la fenêtre », la vitre », le trou noir ou lumineux » puis la vie ». La fenêtre est une vitre », le reflet de la vie. Les allitérations des mots vitre » avec vit » et vie » contribuent à cette progression. L’opposition polaire entre ténébreux » et éblouissant » se retrouve dans la dernière phrase de ce paragraphe trou noir ou lumineux ». La vie apparaît à travers un objet qui est à la fois ténébreux et éblouissant et un trou noir et lumineux ». Le second paragraphe décrit à la première personne cette vision qui émerge de la fenêtre. Dès la première phrase l’observateur aperçoit une femme mûre ». Alors que les vagues de toit » évoquent le mouvement, la femme est décrite comme un être immobile. En outre, l’observateur voit maintenant les choses de plus haut, depuis les vagues de toit ». Le poème oppose le mouvement de la ville à l’immobilité de la vieille femme toujours penchée sur quelque chose » et qui ne sort jamais ». Trois mots décrivent l’état de la vieille femme elle est ridée », pauvre » et penchée avec ridée » en antéposition par rapport à déjà ». La triple répétition de la préposition avec » rappelle la structure de la deuxième phrase au premier paragraphe. Cette structure produit un effet de parallélisme interphrastique et d’insistance. Ces reduplications dans les deux paragraphes contribuent à la cohérence formelle du texte et donc à sa poéticité. Cette reduplication focalise sur le visage, puis sur le vêtement et le presque rien » qui permettent de refaire l’histoire de cette femme ». Dans le poème nous sommes donc passés d’une fenêtre, un trou noir », à un visage et d’un visage à une histoire. La vision permet au poète de refaire l’histoire de cette femme. Cette histoire est sombre puisque le poète pleure lorsqu’il se la raconte à lui-même. L’imaginaire occupe une place importante puisque c’est le narrateur qui refait » l’histoire de cette femme avec presque rien ». En outre, il ne s’agit pas simplement d’une histoire mais d’une légende. Une vieille femme ridée et qui ne sort jamais devient le sujet qui permet au poète d’imaginer, de créer toute une légende. Dans la phrase qui suit l’auteur nous assure que l’histoire imaginaire qu’il se refait pourrait tout aussi bien être celle d’un vieux homme ». Le fait qu’il s’agit d’un vieux » et non d’une vieille est accentue par la liberté de ne pas écrire vieil homme » mais plutôt vieux homme ». Dès le mot vieux » les allitération en v » nous ramènent aux thèmes essentiels du premier paragraphe vitre », vit », vie » et annoncent les thèmes qui suivent vécu », vraie », vivre ». La phrase qui suit est une conclusion. Tout ce qui précède se rapporte au thème de la souffrance inhérente à la vie. L’observateur a su voir par-delà la fenêtre, le trou noir ». Il trouve une satisfaction, une fierté, à avoir souffert à travers la vision de la vieille. Cette vision l’a aidé à vivre. Finalement le poème s’adresse au lecteur et lui attribue une question sur la véracité de cette légende. Cette question vient du fait que l’imaginaire a joué un rôle important dans la fabrication de cette légende. La réponse du poème est que la véracité n’est pas ce qui prime. La réalité placée hors du poète n’est pas ce qui importe mais plutôt le fait qu’elle l’a aidé à vivre. Cette dernière phrase confirme ce qu’annonce le premier paragraphe ce qu’on voit à travers une fenêtre fermée est plus profond, plus éblouissant, plus intéressant que ce qu’on voit à travers une fenêtre ouverte. Le trou noir est devenu un trou lumineux. L’observateur est à présent éclairé sur un mystère ; il est à présent détenteur d’une légende qui l’aide à vivre. La vision de la vieille a aidé l’observateur à mieux sentir sa propre existence, sa propre personne. CHAPITRE 3 PRESENTATION ET ANALYSE DU POEME DE STEPHANE MALLARME Les Fenêtres » par Stéphane Mallarmé Introduction Stéphane Mallarmé écrit les Fenêtres » en 1863 au début de sa carrière, à l’âge de 21 ans. Baudelaire rédige son poème les fenêtres » la même année. Le poème de Mallarmé sera ensuite publié le 12 mai 1866 dans la onzième livraison du Parnasse Contemporain. Dans la présente étude nous basons notre analyse sur le texte publié dans Album de vers et prose 1887-1888.[18] Analyse Structure Le poème est rédigé dans une langue claire, dénuée de l’hermétisme propre à Mallarmé. De forme très classique le poème est composé de dix quatrains écrits en alexandrins. Les rimes du poème sont croisées et sont pauvres. Le poème suit la règle classique de l’alternance de rimes féminines et masculines ; par exemple fétide/vide et rideaux/dos 1ère strophe. Les cinq premiers quatrains dépeignent un moribond qui s’efforce de voir du soleil » en collant son visage aux fenêtres de son hôpital. Dans les cinq quatrains qui suivent le narrateur s’accroche » aux fenêtres et se mire » en elles pour y voir l’Infini. Cependant, les fenêtres constituent un obstacle. Le narrateur se projette par le rêve et l’imaginaire au-delà de cet obstacle. Mais, en fin de compte, il reste prisonnier du réel. Le texte est empreint de tristesse, d’amertume. La vitre » qui produit une séparation entre le monde réel et l’idéal en est un exemple Est-il moyen, ô Moi qui connais l’amertume, D’enfoncer le cristal par le monstre insulté, Selon Bénichou, le poème frappe par la virulence de son pessimisme ».[19]Lorsqu’il envoie le manuscrit à son ami Cazalis, Mallarmé lui adresse une lettre dans laquelle il affirme illustrer par ce poème sa conviction selon laquelle le bonheur ici-bas est ignoble […] J’ai fait sur ces idées un petit poème, Les Fenêtres, je te l’envoie. »[20] Analyse Le lexique développe principalement quatre thèmes 1/ La religion et le religieux.[21] 2/ Le malheur et la souffrance.[22] 3/ La beauté, l’art, la lumière.[23]4/ Le corps humain. [24] Les cinq premiers quatrains décrivent le moribond de l’hôpital. Les cinq quatrains qui suivent sont écrits à la première personne. Le narrateur dépeint son dégoût d’une existence qui se heurte aux contraintes d’Ici Bas ». Selon Bénichou le vieux moribond des Fenêtres et Mallarmé font une fraternité ». Il ajoute que l’hôpital n’est pas une figure symbolique de la vie, c’en est une variante ».[25] [...] [1]Au cours d’une présentation en classe du poème de Marie Krysinska, le professeur Michel Sirvent me fit remarquer l’existence des trois autres poèmes sur le thème des fenêtres » ainsi que leur hétérogénéité formelle et comment l’étude de ces poèmes pouvait constituer le thème d’un mémoire de Maîtrise. Je dois donc au professeur Sirvent l’idée de ce mémoire. [2]Nous nous référons, en particulier, à l’article de Renée Linkhorn, Les fenêtres propos sur trois poèmes.” French Review 1971 513-522. [3]Claude Pichois, Baudelaire, oeuvres complètes I Paris NRF Gallimard, 1977 339. Le poème est reproduit en annexe de cette thèse. [4]Dominique Rincé, Baudelaire et la modernité poétique Paris Presses Universitaires de France, 1996 98. [5]Rincé note que L’histoire des proses du Spleen de Paris se confond avec celle des difficultés que Baudelaire rencontra pour en assurer la publication dans les revues de l’époque. » Ibid. 99, 96. [6]Ibid. 9. [7]Pichois, Baudelaire, 275-276. [8]Dominique Rincé, Bernard Lecherbonnier, Littérature textes et documents, XIXe siècle Paris Nathan, 1986 405. [9]Ibid. 405. [10]Ibid. 404. [11]Pichois, Baudelaire, xviii. [12]Jérôme Thélot, Baudelaire violence et poésie Paris Gallimard NRF, 1993 74. [13]Pichois, 277-278. [14]Rincé, Lecherbonnier, Littérature, 401. [15]Rincé, Baudelaire, 101. [16]Pichois, Baudelaire, 89-91. [17]La vision regarde », voit », voir », j’aperçois ». La vie fécond », vit la vie », rêve la vie », souffre la vie », vécu », aidé à vivre ». La lumière éblouissant », éclairée », chandelle », soleil », trou lumineux ». La souffrance pauvre », en pleurant », souffert ». [18] Album de vers et de prose fut publié par Librairie Universelle, Paris 1887-1888. Cette version du poème se trouve aussi dans les Œuvres Complètes, Editions Gallimard, Paris 1998, p. 117. Elle est reproduite en Annexe de cette étude. Le 3 juin 1863, à l’âge de 21 ans, Stéphane Mallarmé envoie le poème Les Fenêtres » à son ami Cazalis. En 1866 Mallarmé partage avec son ami Cazalis la onzième livraison du Parnasse Contemporain. Bertrand Marchal. Stéphane Mallarmé 1842-1898, Œuvres Complètes Paris Gallimard, 1998 XLIX. Paul Bénichou note que les versions connues de ce poème, manuscrites et imprimées, s’étendent sur toute la carrière de Mallarmé ; il y a relativement peu de variantes dans ce long parcours ; mais certaines sont notables. » Paul Bénichou, Selon Mallarmé Paris Gallimard, 1995 69. Parmi les variantes les plus notables de ce poème on trouve, à l’origine, au vers 37, la mention de Dieu Est-il moyen, mon Dieu, qui savez l’amertume ». En outre, dans le Parnasse Contemporain de 1866 le verbe savoir » est changé en voir . Puis, en 1887 dans la Revue Indépendante, apparaît la variante ô Moi, qui connais l’amertume. » [19]Bénichou, Selon Mallarmé, 69. [20]Bertrand Marchal, Stéphane Mallarmé Correspondance complète 1862-1871 Paris Gallimard, 1995 144. [21] L’encens » vers 1, le crucifix » vers 3, les saintes huiles » vers 13, béni » vers 26, éternelles » rosées vers 27, l’Infini » vers 28, ange » vers 29, la mysticité » vers 30, Ici-bas » vers 29, l’éternité » vers 40. [22] triste hôpital » vers 1, le moribond », un vieux dos » vers 4, se traîne », sa pourriture » vers 5, baiser amer » vers 12, le lit infligé » vers 14, la toux » vers 15, dégoût » vers 21, ordure » vers 23, je meurs » vers 29, vient m’écœurer » vers 34, vomissement » vers 35, l’amertume » vers 36. [23] soleil » vers 6, beau rayon clair » vers 8, les tièdes carreaux d’or » vers 12, de lumière gorgé » vers 16, belles comme des cygnes » vers 17, l’éclair fauve » 19, l’art » 30, portant mon rêve en diadème » vers 31, au ciel antérieur où fleurit la Beauté » vers. 32, le cristal » 38. [24] vieux dos » vers 4, pourriture » vers 5, poils blancs et os de la maigre figure » vers 7, bouche fiévreuse » vers 9, jeune » vers 10, peau virginale et de jadis » vers 11, son œil » vers 6, la femme allaitant ses petits » vers 24, l’épaule » vers 26, me boucher le nez » vers 36, mes deux ailes » vers 39. [25]Bénichou, Selon Mallarmé, 69.
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Sous des jupons troués et sous de froids tissus Ils rampent, flagellés par les bises iniques, Frémissant au fracas roulant des omnibus, Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques, Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ; Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ; Se traînent, comme font les animaux blessés, Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés Qu’ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille, Luisants comme ces trous où l’eau dort dans la nuit ; Ils ont les yeux divins de la petite fille Qui s’étonne et qui rit à tout ce qui reluit. – Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles Sont presque aussi petits que celui d’un enfant ? La Mort savante met dans ces bières pareilles Un symbole d’un goût bizarre et captivant, Et lorsque j’entrevois un fantôme débile Traversant de Paris le fourmillant tableau, Il me semble toujours que cet être fragile S’en va tout doucement vers un nouveau berceau ; A moins que, méditant sur la géométrie, Je ne cherche, à l’aspect de ces membres discords, Combien de fois il faut que l’ouvrier varie La forme de la boîte où l’on met tous ces corps. Introduction de l’analyse Dans l’esthétique de la laideur, on peut dire que Baudelaire est un précurseur. Aussi, en ce qui concerne la description de la vieillesse, il se distingue nettement de Ronsard voir l’article sur Quand vous serez bien vieille », qui ne perçoit aucune beauté dans les traits d’une vieille femme. Baudelaire offre un portrait assez pitoyable de la vieillesse, tout en mêlant un sentiment de tendresse envers celle-ci. Comment Baudelaire fait-il du corps considéré comme laid, – le corps des vieilles femmes – un objet de beauté ? Alors que Ronsard prévient Hélène qu’aucune vieille femme n’est la Muse des poètes, Baudelaire, lui, dédie un poème à ces créatures qu’il trouve mystérieuses. Il prouve à nouveau la modernité de son esthétisme, et sa rupture avec les codes classique de la poésie les thèmes qu’il aborde est à l’opposé de la tradition. Ainsi, tout en respectant les règles poétiques formelles, Baudelaire choisit de renverser les codes et, littéralement, de créer du neuf avec du vieux. Des petites vieilles monstrueuses Au premier abord, le rapport qu’entretient le poète avec les petites vieilles » est ambigu il les compare à des monstres mais invite dans le même temps à les aimer. On peut alors se dire qu’il voit des aspects d’elles que les autres ne voient pas elles sont humaines, elles furent jeunes et belles un jour. Il distingue leur humanité au-delà de leur physique défraîchi. Des femmes ? Les personnages mis en scène dans le poème sont des petites vieilles », comme si elles n’avaient jamais été caractérisées que par leur âge avancé. De fait, elles furent jadis des femmes » ce qui laisse à penser qu’elles ne disposent plus, effectivement, de leur humanité. Elles se sont transformées en créatures laides que personne ne saurait précisément identifier, et caractérisées par leurs déformations. Elles sont devenues des vestiges d’un autre temps, des reliques » A tel point qu’elles sont terriblement affaiblies, puisque plus aucune force vitale ne les régit. Les petites vielles deviennent presque irréelles, de simples silhouettes ou fantômes débiles » … Ou des monstres ? Baudelaire n’est pas dupe le corps des vieilles femmes n’est pas harmonieux, elles ont une apparence monstrueuse ce sont des monstres disloqués » v5, brisés, bossus ou tordus » tout cassés » et même discords » Le poète ne rechigne pas à admettre leur laideur au contraire, il la met en avant. Il peint des créatures pathétiques et souffrantes. Elles sont proches de la terre, rampent » se traînent » et sont donc plus proches de la boue que des cieux. De la tendresse pour les petites vieilles Les petites vieilles sont des êtres rejetés de la société, que chacun méprise ou tout du moins regarde avec pitié ; ce sont des parias, autrefois membre de cette même société. Elles sont difformes et plus personne ne prendrait de plaisir à les regarder. Pourtant, il existe encore une figure qui les contemple et encense leurs traits c’est le poète. Pas n’importe lequel celui qui a écrit L’Albatros », poème qui décrit le poète comme un être rejeté par tous. Baudelaire n’était en effet pas une personne des plus sociables, et il était lui-même considéré comme laid. Il semble alors assez évident de faire le parallèle entre lui et les petites vieilles qu’il décrit et pour qui il ressent de la tendresse. Une description froide de créatures indéterminées Le ton du poème paraît très détaché au premier abord. Baudelaire fait comme une description des petites vieilles » à la manière d’un scientifique il les regarde, les observe, les décrit avec des termes crus, terre-à-terre. Il les guette » ces créatures qui rampent » trottent » se traînent », Il étudie leur comportement et se décrit lui-même comme une sorte de scientifique, méditant sur la géométrie » Le ton de ces vers sont encore plus froids et cyniques lorsque l’on voit qu’il portait une réflexion sur la mort prochaine des petites vieilles il établit un parallèle entre lui-même et un géomètre afin d’illustrer la façon dont il considère la forme et la taille du cercueil qui sera offert aux petites vieilles. De fait, le poète s’interroge à propos de ces êtres pendant qu’il les observe. Elles lui semblent ambivalentes, pleines de contradictions. De nombreuses antithèses les illustrent. Au vers 6, Baudelaire les compare à Eponine ou Laïs » Eponine est une femme qui représente la vertu, et Laïs représente le vice ; elles symbolisent à la fois le bien et le mal. Cela traduit le caractère ambivalent de la femme, ce que Baudelaire illustre souvent dans ses poèmes. Il oppose aussi l’intériorité à l’extériorité de ces petites vieilles. A l’intérieur d’un corps disloqué, difforme, monstrueux, se trouve une âme » que l’on peut distinguer à travers des yeux divins de la petite fille » des yeux mystérieux » On le sait, les yeux sont le miroir de l’âme » ils expriment sans mots ce qui se cache en profondeur. Grâce aux yeux de celles qui furent des femmes, en apparence laides et vieilles désormais, on peut voir les restes d’une âme d’enfant, prisonnier d’un corps monstrueux. Une description faussement froide Il invite en fait à la tendresse envers ces créatures malgré leur apparence. Une autre opposition est encore présente dans le poème, qui cette fois discorde avec le ton froid du scientifique le poète balance entre la répulsion, comme on a pu le voir précédemment avec les corps disloqués » et autres adjectifs, et la fascination. Les substantifs et adjectifs sont nombreux enchantements » charmants » … Les petites vieilles ne sont pas que des fantômes du passé, ce sont une source d’inspiration et de fascination pour le poète. Il voit en elles quelque chose qui inspire sa pitié en même temps qu’il a un sentiment de dégoût, puisqu’il arrive à voir au-delà de la carapace de leur corps. De fait, le ton n’est que superficiellement cruel, car on ressent l’indéniable pitié ou charité du poète face à ces créatures aimons-les » divins » … Par ailleurs, il semble ressentir une véritable sympathie au sens étymologique capacité à partager les mêmes sentiments, les mêmes émotions face à ces vieilles qui paraissent être le miroir du spleen que ressent Baudelaire, ce qui nous amène vers notre dernière partie de cette analyse. Le prétexte poétique rendre un corps laid en un sujet noble Les petites vieilles, incarnations de Paris Paris est le parfait lieu pour décrire la laideur, le sale à cette époque, la ville sent mauvais, héberge de nombreuses maladies, n’est pas encore rénovée par Haussmann, etc. Il ne faut pas creuser très loin pour observer la comparaison entre les petites vieilles et la ville de Paris. D’abord, la rencontre entre le poète et les petites vieilles se fait dans la ville, espace problématique, entre laideur et envoûtement Dans les plis sinueux des vieilles capitales, / Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements » et 2. Baudelaire la décrit à l’aide d’hyperboles antithétiques, entre horreur » et enchantements ». Aux enchantements peut aussi se raccorder le domaine du rêve, qu’on peut voir avec les plis sinueux », qui se rapportent à une ville labyrinthique, ou bien aux rides des petites vieilles. Autour du poète, l’espace devient de plus en plus complexe à mesure des descriptions. La réalité est présente avec la laideur, la multitude de la foule, les bruits urbains tels que ceux des omnibus. Mais l’imaginaire tend toujours à se battre pour gagner du terrain le labyrinthe, les spectres des petites vieilles, … La réalité urbaine est ainsi transformée en terrain de jeu de l’imagination du poète, ce qui révèle son intériorité ainsi que son projet poétique. La beauté dans la laideur De fait, le poème illustre parfaitement le projet ainsi que l’intériorité de Baudelaire dans l’épilogue des Fleurs du Mal, il écrit Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». Le but est de réinventer la beauté, de ne plus se concentrer sur le Beau classique. Le laid, le difforme, le sale sont de nouvelles formes de beauté. Le paysage urbain a ainsi été réhabilité par le poète. Imaginez Paris en 1857 vieille, sale, pauvre, grouillant de monde. Les poètes romantiques surtout, ceux de la génération avant Baudelaire, n’aimaient que les paysages naturels et grandioses. Baudelaire réhabilite la beauté dans la laideur, et les petites vieilles sont une incarnation de Paris personne ne les trouve belles, elles sont des monstres disloqués » décrépits » Ce poème reflète la pensée et l’esthétique de la laideur de Baudelaire le laid et le mal sont des sujets poétiques d’où peut venir la beauté Le Beau est toujours bizarre ». Dans la ville, l’horreur » du lieu tourne aux enchantements » ; et les petites vieilles sont à la fois des créatures décrépits » et charmants ». Pour Baudelaire, ces mots ne sont pas des antithèses ils peuvent aller ensemble sans se contredire. Là est toute la modernité de la pensée de Baudelaire la laideur est son objet poétique phare. Urbanisme, laideur et modernité Toute cette esthétique de la laideur est très nouvelle pour l’époque, et cette volonté témoigne de la modernité de Baudelaire quant à sa vision du beau. Pour lui, la définition de la modernité se tient en ces quelques mots La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. » On retrouve dans cette définition les petites vieilles ce sont des êtres qui vont bientôt mourir, qui ne sont là que temporairement. Au travers de leur description, Baudelaire parvient à tirer l’éternel du transitoire ». Les petites vieilles sont à la fois dans le passé et dans le présent elles sont des vestiges du passé se mouvant dans un paysage urbain bien actuel ; de simples passantes que le poète décrit fugitivement dans son poème. Le poète n’idéalise pas le réel comme la plupart encore de ses contemporains ou des romantiques il fait osciller son poème entre prosaïsme et onirisme. La beauté n’est pourtant pas totalement absente, elle est transformée c’est une poésie urbaine. Ainsi, Baudelaire se fait mémoire du présent », quand l’art classique considérait jusque là faire une poésie de l’immuable uniquement. Conclusion de l’analyse Les Petites Veilles En conclusion, ce poème a tout pour se distinguer du XVIe siècle, et de la vision de la beauté de Ronsard. Alors que ce dernier ne voit de la beauté qu’en une jeune femme, aux traits physiques apparemment dignes des canons de beauté, Baudelaire se veut plus subversif encore en créant une poétique de la boue. Il décrit dans son poème des petites vieilles, parfois à la manière d’un scientifique froid, mais le plus souvent en manifestant toute la tendresse qu’il voit en ces êtres qui lui ressemblent finalement beaucoup. Le poète met en œuvre son projet prendre de la boue pour la transformer en or. Baudelaire est celui qui a transformé le paysage urbain apparemment laid et sale en un sujet poétique beau et fascinant. source
enhaut des falaises, beau dans les îles lointaines. Il est beau au coin de la rue, dans les plis sinueux des vieilles capitales. Il est beau où il y a du calcaire et beau où il y a du granit. Sa splen-deur est sans limites. La route est longue, cependant, avant de pouvoir chanter à voix haute un alléluia. Une vie d’efforts n’y
Les grandsclassiques Poésie Française 1 er site français de poésie Les Grands classiques Tous les auteurs Charles BAUDELAIRE Les petites vieilles Les petites vieilles A Victor HugoIDans les plis sinueux des vieilles capitales,Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,Je guette, obéissant à mes humeurs fatalesDes êtres singuliers, décrépits et monstres disloqués furent jadis des femmes,Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossusOu tordus, aimons-les ! ce sont encor des des jupons troués et sous de froids tissusIls rampent, flagellés par les bises iniques,Frémissant au fracas roulant des omnibus,Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ;Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ;Se traînent, comme font les animaux blessés,Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettesOù se pend un Démon sans pitié ! Tout cassésQu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ;Ils ont les yeux divins de la petite filleQui s'étonne et qui rit à tout ce qui Avez-vous observé que maints cercueils de vieillesSont presque aussi petits que celui d'un enfant ?La Mort savante met dans ces bières pareillesUn symbole d'un goût bizarre et captivant,Et lorsque j'entrevois un fantôme débileTraversant de Paris le fourmillant tableau,Il me semble toujours que cet être fragileS'en va tout doucement vers un nouveau berceau ;A moins que, méditant sur la géométrie,Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,Combien de fois il faut que l'ouvrier varieLa forme de la boîte où l'on met tous ces Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,Des creusets qu'un métal refroidi pailleta...Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmesPour celui que l'austère Infortune allaita !IIDe Frascati défunt Vestale enamourée ;Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleurEnterré sait le nom ; célèbre évaporéeQue Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêlesIl en est qui, faisant de la douleur un mielOnt dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel !L'une, par sa patrie au malheur exercée,L'autre, que son époux surchargea de douleurs,L'autre, par son enfant Madone transpercée,Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs !IIIAh ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles !Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombantEnsanglante le ciel de blessures vermeilles,Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,Dont les soldats parfois inondent nos jardins,Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre,Versent quelque héroïsme au coeur des droite encor, fière et sentant la règle,Humait avidement ce chant vif et guerrier ;Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle ;Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier !IVTelles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,A travers le chaos des vivantes cités,Mères au coeur saignant, courtisanes ou saintes,Dont autrefois les noms par tous étaient qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivilVous insulte en passant d'un amour dérisoire ;Sur vos talons gambade un enfant lâche et d'exister, ombres ratatinées,Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;Et nul ne vous salue, étranges destinées !Débris d'humanité pour l'éternité mûrs !Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,L'oeil inquiet, fixé sur vos pas incertains,Tout comme si j'étais votre père, ô merveille !Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins Je vois s'épanouir vos passions novices ;Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ;Mon coeur multiplié jouit de tous vos vices !Mon âme resplendit de toutes vos vertus !Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères !Je vous fais chaque soir un solennel adieu !Où serez-vous demain, Èves octogénaires,Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ? Livre: Livre Dans les plis sinueux des vieilles capitales de Taussig (Sylvie), commander et acheter le livre Dans les plis sinueux des vieilles capitales en livraison rapide, et aussi des extraits et des avis et critiques du livre, ainsi qu'un résumé. À Victor Hugo. I. Dans les plis sinueux des vieilles capitales, Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements, Je guette, obéissant à mes humeurs fatales Des êtres singuliers, décrépits et charmants. Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes. Sous des jupons troués et sous de froids tissus Ils rampent, flagellés par les bises iniques, Frémissant au fracas roulant des omnibus, Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques, Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ; Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ; Se traînent, comme font les animaux blessés, Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille, Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ; Ils ont les yeux divins de la petite fille Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit. - Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ? La Mort savante met dans ces bières pareilles Un symbole d'un goût bizarre et captivant, Et lorsque j'entrevois un fantôme débile Traversant de Paris le fourmillant tableau, Il me semble toujours que cet être fragile S'en va tout doucement vers un nouveau berceau ; A moins que, méditant sur la géométrie, Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords, Combien de fois il faut que l'ouvrier varie La forme de la boîte où l'on met tous ces corps. - Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes, Des creusets qu'un métal refroidi pailleta... Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes Pour celui que l'austère Infortune allaita ! II. De Frascati défunt Vestale enamourée ; Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur Enterré sait le nom ; célèbre évaporée Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur, Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêles Il en est qui, faisant de la douleur un miel Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel ! L'une, par sa patrie au malheur exercée, L'autre, que son époux surchargea de douleurs, L'autre, par son enfant Madone transpercée, Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs ! III. Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles ! Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc, Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre, Dont les soldats parfois inondent nos jardins, Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre, Versent quelque héroïsme au coeur des citadins. Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle, Humait avidement ce chant vif et guerrier ; Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle ; Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier ! IV. Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes, A travers le chaos des vivantes cités, Mères au coeur saignant, courtisanes ou saintes, Dont autrefois les noms par tous étaient cités. Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire, Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil Vous insulte en passant d'un amour dérisoire ; Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil. Honteuses d'exister, ombres ratatinées, Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ; Et nul ne vous salue, étranges destinées ! Débris d'humanité pour l'éternité mûrs ! Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille, L'oeil inquiet, fixé sur vos pas incertains, Tout comme si j'étais votre père, ô merveille ! Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins Je vois s'épanouir vos passions novices ; Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ; Mon coeur multiplié jouit de tous vos vices ! Mon âme resplendit de toutes vos vertus ! Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères ! Je vous fais chaque soir un solennel adieu ! Où serez-vous demain, Èves octogénaires, Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ? Charles Baudelaire Vieillesse Dansles plis sinueux des vieilles capitales. Galaade. François Tison. Farcissures. Allia. Elie Tresse. Ni ce qu’ils espèrent, ni ce qu’ils croient. Allia Retrouvez tous ces livres dans notre rubrique Actualité & coups de coeur. La table avant l'arrivée des invités. Le salon de thé de La Dame au Chapeau. Découverte du lieu de notre café littéraire itinérant. Une vue de l Hommage à Dominique Rolin, Le N° 145 de l’Infini, Automne 2019, rassemble sous le titre Dominique Rolin, La vie est une offrande » de précieux textes de l’écrivaine, disparue en 2012. Parmi ceux-ci, la version intégrale des Petites vieilles » de Charles Baudelaire, un poème qui la relie à sa mère, à son enfance. D. R. nous dit ce qu’il représentait pour elle. Ce poème fait partie des Tableaux parisiens, des Fleurs du mal. Il a été mis en musique par Georges Chelon, en 2009. Texte de Charles Baudelaire Les Fleurs du mal mis en musique par Georges Chelon, CD intégral 2009 XCI. - LES PETITES VIEILLES » A Victor Hugo Charles Baudelaire I Dans les plis sinueux des vieilles capitales, Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements, Je guette, obéissant à mes humeurs fatales, Des êtres singuliers, décrépits et charmants. Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes. Sous des jupons troués et sous de froids tissus Ils rampent, flagellés par des bises iniques, Frémissant au fracas roulant des omnibus, Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques, Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ; Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ; Se traînent, comme font les animaux blessés, Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés Qu’ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille, Luisants comme ces trous où l’eau dort dans la nuit ; Ils ont les yeux divins de la petite fille Qui s’étonne et qui rit à tout ce qui reluit. - Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles Sont presque aussi petits que celui d’un enfant ? La Mort savante met dans ces bières pareilles Un symbole d’un goût bizarre et captivant, Et lorsque j’entrevois un fantôme débile Traversant de Paris le fourmillant tableau, Il me semble toujours que cet être fragile S’en va tout doucement vers un nouveau berceau ; À moins que, méditant sur la géométrie, Je ne cherche, à l’aspect de ces membres discords, Combien de fois il faut que l’ouvrier varie La forme de la boîte où l’on met tous ces corps. - Ces yeux sont des puits faits d’un million de larmes, Des creusets qu’un métal refroidi pailleta... Ces yeux mystérieux ont d’invincibles charmes Pour celui que l’austère Infortune allaita ! II De Frascati défunt Vestale enamourée ; Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur Enterré sait le nom ; célèbre évaporée Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur, Toutes m’enivrent ; mais parmi ces êtres frêles Il en est qui, faisant de la douleur un miel, Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu’au ciel ! L’une, par sa patrie au malheur exercée, L’autre, que son époux surchargea de douleurs, L’autre, par son enfant Madone transpercée, Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs ! III Ah ! que j’en ai suivi de ces petites vieilles ! Une, entre autres, à l’heure où le soleil tombant Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, Pensive, s’asseyait à l’écart sur un banc, Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre, Dont les soldats parfois inondent nos jardins, Et qui, dans ces soirs d’or où l’on se sent revivre, Versent quelque héroïsme au cœur des citadins. Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle, Humait avidement ce chant vif et guerrier ; Son œil parfois s’ouvrait comme l’œil d’un vieil aigle ; Son front de marbre avait l’air fait pour le laurier ! IV Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes, A travers le chaos des vivantes cités, Mères au cœur saignant, courtisanes ou saintes, Dont autrefois les noms par tous étaient cités. Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire, Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil Vous insulte en passant d’un amour dérisoire ; Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil. Honteuses d’exister, ombres ratatinées, Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ; Et nul ne vous salue, étranges destinées ! Débris d’humanité pour l’éternité mûrs ! Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille, L’œil inquiet, fixé sur vos pas incertains, Tout comme si j’étais votre père, ô merveille ! Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins Je vois s’épanouir vos passions novices ; Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ; Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices ! Mon âme resplendit de toutes vos vertus ! Ruine ! ma famille ! ô cerveaux congénères ! Je vous fais chaque soir un solennel adieu ! Où serez-vous demain, Èves octogénaires, Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ? * Ma mère, qui était professeur de diction, nous faisait réciter par cœur toutes sortes de poésies, donr les petites vieilles » de Charles Baudelaire. J’ai su ce poème à 12 ans. À 18 ans, je l’ai étudié à fond et il ne m’a jamais quittée. Récemment, tout d’un coup, après une nuit sombre, il m’est revenu intégralement, dans cet intervalle si particulier entre le rêve et le réveil. J’ai pu le murmurer pour moi seule jusqu’au bout, comme il m’était arrivé de le faire très souvent auparavant. C’est tout de même très curieux que ces petites vieilles » aient pu impressionner à ce point l’enfant que j’étais. Mais c’est un fait ce poème m’a laissé des marques violentes et inscrites à vif dans ma mémoire pour toujours. Le côté tragique de l’existence ne m’a pourtant jamais impressionnée, ni la vieil-lesse ni la mort qui réduit l’être humain à une poignée de résidus qu’on enfouit dans la terre comme si cet acte pouvait faire disparaître l’âme des choses de la vie... Je m’y refuse absolument, car cela sonne faux. Je suis sauvée par les poèmes ! Ils sont chargés de cette forme d’existence sans chair, mais riches d’une solidité et d’une possibilité d’action sur le réel sans commune mesure avec le tout-venant de l’existence. Un poème, c’est d’abord une musique qui s’invite sur la terre, dans la voix de ma mère, sur ma peau alors toute juvénile. Au moment de penser à la réalisation de ce livre [1] il est venu s’imposer à moi avec une force et une vérité impossibles à repousser. Il fait partie de mon âme et de mon corps. En vous le lisant à haute voix, je sais qu’il s’intègre aussi à votre âme et à votre corps. Il circule entre nous... Vous qui avez la plume à la main et que je regarde avec affection, moi qui suis dans l’obligation de rendre compte de ma mémoire rythmée par ce poème cruel, terrible et tellement beau. Vous prenez des notes sur ce que je viens de dire, et ce livre que nous construisons ensemble sort comme s’il émanait à la fois de votre peau éclairée par le soleil qui entre dans la pièce et de votre désir d’en faire un bloc original, autant que de ma volonté tendue vers la réussite d’un objet fidèle à ce que je suis. Ce sont nos atouts premiers ! Ce poème est splendide dans la violence même de son rythme, et il faut s’en servir à la manière d’une succession de coups de poing sur la table gui rendraient possible la recréation de cette écriture aujourd’hui. Je rêve à nouveau beaucoup, mais d’une manière plus diluée qu’auparavant... Certains de mes rêves sont horribles. Je perds ma maison, je n’ai plus personne autour de moi, je marche sans savoir où je vais dormir. C’est triste, difficile à sup¬porter... Au moment où je sortais de ma nuit, pourquoi ce poème-là parmi tous les autres a-t-il surgi avec une précision telle que tout est devenu plus rassurant autour de moi ? Je crois qu’il m’incite à me rapprocher de ce côté de la vie que chacun essaie de taire en soi ou d’enfouir dans le rythme de la journée où l’on se sent incapable de l’affronter. A VICTOR HUGO Il n’est pas anodin que Les Petites Vieilles », un des quelques poèmes dédicacés des Fleurs du Mal, soit adressé à Victor Hugo. Ce n’est pas ici au proscrit illustre que Baudelaire rend hommage comme dans Le Cygne », mais bien plutôt au défenseur des humbles et des marginaux, qui n’a cessé de proclamer l’universel droit d’être aimé. Baudelaire ne cache pas que c’est cette charité hugolienne qui imprègne son poème le texte, écrit-il à Hugo en 1859, a été fait en vue de vous imiter riez de ma fatuité, j’en ris moi-même, après avoir relu quelques pièces de vos recueils, où une charité si magnifique se mêle à une familiarité si touchante ». Les petites vieilles » on reviendra sur cet adjectif ont la grandeur des petits que Hugo a célébrée dans ses poèmes, en accord avec le titre du plus long poème des Contemplations Magnitudo Parvi ». Les figures de vieillards sont du reste légion dans l’œuvre de Hugo, le grotesque théorisé par Hugo a sa place dans bien des vers des Petites Vieilles » et, enfin, les méditations de Baudelaire sur la proximité du cercueil et du berceau ont une certaine résonance hugolienne – Hugo n’écrit-il pas dans la préface des Contemplations qu’il peint l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil » ? Mais l’admiration de Baudelaire pour Hugo est loin d’être sans réserves, et quelque imprégné qu’il soit d’accents hugoliens, Les Petites Vieilles » reste un poème profondément baudelairien. Paris est la capitale infâme » effrayante et captivante que ne cesse de chanter Baudelaire ; le sarcasme se mêle au pathos, sans néanmoins l’annuler ; la transfiguration des petites vieilles répond au projet de faire fleurir » le mal. S’il y a identification avec les petites vieilles », ce n’est pas seulement au nom de la sympathie pour les humbles, c’est parce que ces silhouettes tordues et rampantes sont l’image de ce déclassé dérisoire, de cet être informe et déchu – bien éloigné du mage hugolien – qu’est le poète. Nous étudierons la première des quatre sections du poème, où le portrait des petites vieilles s’ébauche essentiellement à partir de deux éléments à valeur emblématique leur démarche et leur regard. Le poète insiste sur la trouble fascination que les femmes disgraciées exercent sur lui v. 1-7, décrit l’allure désarticulée de ces pauvres êtres cheminant dans la ville v. 8-16 et enfin puise dans leur regard les liens qu’elles entretiennent avec le monde de l’enfance v. 16-36. Les petites vieilles » le titre, malgré sa simplicité, mérite l’attention. […] Au-delà de sa valeur hypocoristique, l’adjectif petite prend un sens profond dans Les Petites Vieilles » d’abord parce que ces fantômes féminins font partie des Petits » célébrés par Hugo une section de la Légende des Siècles s’appellera Les Petits », ensuite parce que la petitesse de ces femmes ratatinées fait l’objet de certaines des plus belles strophes du poème, avec la comparaison de la petite vieille » à une petite fille », et la méditation sur les minuscules cercueils qui seront bâtis pour ces êtres fragiles ». Nicolas Fréry extrait Je suis très âgée, je n’ai plus tellement de temps à vivre. Or, j’aime la vie et je continue à l’aimer malgré le travail de la mort qui est un calvaire. Je perds mon indépendance physique et je dois m’adapter aux difficultés de la dépendance qui affectent ma manière de mouvoir bras et jambes. Mais le mystère, ce n’est pas la mort, c’est la vie qui ne se laisse pas approcher de l’être si facilement, même si l’on arrive comme moi à ce moment où tout va s’arrêter. Jusqu’au bout reste ce besoin d’avoir un corps vivant qui vous double jour et nuit pour vous garder intact. Ce poème est magnifique, parce qu’on a l’impression que Baudelaire porte en lui des messages secrets qu’il transmet dans son œuvre à travers ces vers tordus, méchants, violents... Il y a en effet, surplombant tout, une vitalité et une foi dans la beauté qui existe en parallèle à la brutalité du spectacle de ces petites vieilles » abandonnées dans la ville. Baudelaire nous prévient contre le désespoir. J’estime que quand nous parlons, nous employons des mots beaux, articulés, significatifs, qui sont à la disposition de tout être humain, mais qui n’ont peut-être jamais été employés comme ils le sont en ce moment, alors que le ciel bleuit et que le soleil entre en grand dans mon intérieur... C’est un poème en soi. Lorsque j’ai dû trouver un endroit où vivre à Paris en 1959, j’avais dit à l’agent immobilier, j’exige un appartement qui soit au soleil ». Il m’avait alors répondu avec une épouvantable voix de vendeur de soupe, ah, mais vous savez, le soleil est une denrée rare ! », comme s’il s’agissait d’un luxe absolu. Je suis très sensible aux voix, elles disent tout. Ma mère avait une très jolie voix. Elle avait connu Sarah Bernhardt, dont la voix nous paraît aujourd’hui très datée, et elle gardait des souvenirs très précis de cette intrusion heureuse par le génie de la voix, ce génie de la compréhension cachée d’un poème, parce qu’on ne sait pas toujours ce qu’on lit quand on lit. Baudelaire est un très grand poète qui vit dans son époque, avec ses joies et ses horreurs. Il voit tout, il sent tout. Quand je le redécouvre à voix haute, je retrouve mes sensations intactes et violentes, et c’est déchirant. Au moment des obsèques de Jean-Paul II, je me souviens avoir regardé la céré-monie à la télévision et en avoir été très émue, en éprouvant aussi cette sensation de déchirement. Il faisait plein soleil, pas de vent ni de menaces. Toue était libéré pour le spectacle, avec toute la pompe du Vatican, et posé à même le sol, ce cercueil en bois tout simple, au centre. Il y avait un océan de visages serrés les uns contre les autres, des drapeaux, tous ces habits ecclésiastiques chatoyants dans la lumière, et la beauté surhumaine contenue dans l’âme, le cœur et le corps de celui qui repo¬sait là, comme un pauvre. Je me suis sentie brisée et reconstruite autrement, dans un sens de moi-même que je n’avais jamais espéré. Tout m’était donné et tout était recouvert ce jour-là par la présence charnelle de la foi. C’était la chair de la tendresse pour le Christ, une admiration et une concentration infinies. Au milieu des photographes circulant en grappe, la présence de ce vieux pape arrêtée sur une image splendide comme dans un tableau. Chaque être humain est une direction. Ce que je regardais constituait pour moi seule un acquis que je volais à ma propre mort et un ensemble inaltérable et joyeux. Tout était à prendre. Il s’agissait d’une fête, non seulement religieuse, mais aussi mentale, morale et esthétique. Comme pour un printemps nouveau. J’ai pour m’accompagner, en poésie et dans la vie telle que je la rêve, tout un monde fulminant d’impressions parfois contradictoires... Contre la griffe effroyable de Dieu » de la fin du poème de Baudelaire, la foi en l’amour bagarreur du poète qui éloigne la mort. oOo
Окαξև магθФуጺе բ ዴըֆοНነщθսաዡ ጶбዴхрըξևл
Υճипс εг очеτիОሄунтግδοб ሾፖаδሺմ еζቮμЕ ኜωչክмоփυ ащеፒክሠ
Ու нутрΩբидαሯ ςепኤзеዎεгዷевсետубе ха
О ሓаբиԽкеջጱኻ νጦቼΥдеλехኩጡуπ пሽ адамыπεцу
ፐачухуβε ճΜ հωւωсвι уցюсреሁሎсቁሠፃеዧ αкο
Citationsles fleurs du mal. STUDY. Flashcards. Learn. Write. Spell. Test. PLAY. Match. Gravity. Created by. chechefx. Terms in this set (18) Le spleen. Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis (spleen LXXVIII) L'idéal. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté (l'invitation au voyage LIII) L'art de la beauté

Yves Charnet a privilégié le mode de la lettre à pour dire son admiration de sorte que celle-ci soit sensible au coeur. Ce qui n’exclut nullement la finesse des analyses ! Celle-ci s’adresse à Claude Pichois qui nous a quittés récemment, et dont sait les travaux sur Gérard de Nerval et Charles Baudelaire. à lire aussi d’Yves Charnet sur une lettre à Pierre Bergounioux, une lettre à Olivier Rolin. L’orage rajeunit les fleursune lettre à Claude Pichois Choisissant de m’adresser à vous devant des jeunes gens auxquels le hasard des programmes a remis entre les mains, pour préparer leur Agrégation, Les Fleurs du Mal, je veux bien sûr rappeler - cher Claude Pichois - que, par votre patient et méthodique travail d’éditeur comme de biographe, vous aurez changé jusqu’aux conditions mêmes de la lecture d’un livre qui se confond avec l’origine de notre poésie moderne. Je tiens surtout à marquer que, dans ma propre existence, je n’aurais pas, sans votre insistante vigilance, retrouvé l’énergie de m’aventurer sur nouveaux frais dans l’expérience d’une autre traversée de ces poèmes. La nature singulière des liens qui se sont noués entre nous quand, consacrant ma thèse aux écrits esthétiques du poète, il m’a donc été donné de vous rencontrer, comme la constante attention dont, depuis 1992, vous aurez encouragé mes tentatives pour comprendre, chez Baudelaire, la poétique de l’énergie lyrique - ces façons de main tendue relèvent, sans doute, de l’amitié. Il n’y a pas lieu, bien sûr, de gloser ici des circonstances privées. Mais c’est l’occasion de manifester publiquement une dette. Et plus que cela. La reconnaissance de ce que, dans nos vies, le travail, la pensée, les tentatives d’écrire doivent à la chance, vous savez, des rencontres. M’adressant à des jeunes gens qui sont ce que je fus à leur place - candidat moi-même, la dernière fois que les Fleurs étaient, en 1989, au programme du Concours - , je voudrais donc aujourd’hui continuer à voix haute cet interminable entretien qui donne son rythme à nos conversations baudelairiennes. Les organisateurs de ces nécessaires Journées d’études » voudront bien me pardonner de ne plus être capable de m’exprimer selon des codes strictement académiques. Et de ne pouvoir penser que dans le risque de cette adresse singulière que sont ces petites lettres critiques dont la manière s’est imposée progressivement à la sorte d’écrivain que j’essaye d’être. Un écrivain baudelairien - au sens d’une active interaction, vous savez, entre la poétique et le poème. Je voudrais commencer cette lettre par ce qui constitue significativement la fin d’une des sommes que vous aurez consacrées au poète, ce Baudelaire, études et témoignages qui contient, dans sa nouvelle édition revue et augmentée » La Baconnière, 1976, le texte inédit dont, cherchant à relire Les Fleurs du Mal, j’aimerais, aujourd’hui, repartir. Baudelaire ou la difficulté créatrice », tel est le titre de cette étude qui conclut votre ouvrage sur la manière originale dont notre poète a su, de la difficulté d’être et de créer, faire une difficulté vraiment créatrice de nouvelles valeurs esthétiques ». Venant après un examen très précis des relations entre l’état physiologique et le pouvoir créateur » chez un poète dont on sait que - au-delà comme en deçà des affections physiologiques et psychiques dont les symptômes étaient déclarés - il avait lui-même diagnostiqué sa maladie secrète », votre étude pose, avec une rigoureuse prudence, les bases d’une interprétation qui, de cette difficulté de créer », ferait un des traits majeurs de la génétique et de la psychologie baudelairienne ». Vous insistez avec raison sur le fait que, entre 1821 et 1867, pendant quarante six années d’une existence possédée par la dépossession, on compte à peine, chez Baudelaire, deux périodes de véritable vitalité créatrice », se répartissant sur deux groupes d’années 1842-1846 ; 1857-1861 ». À peine, en effet, une dizaine d’années pour ce poète dont sera condamné, en 1857, le seul livre vraiment voulu par lui que, de son vivant, il aura vu paraître. Du dieu de l’impuissance » dont Samuel Cramer, l’un de ses premiers doubles, se réclame au roi d’un pays pluvieux » que l’un des Spleen montre impuissant, jeune et pourtant très vieux », il faudrait, reprenant la massive biographie que vous avez consacrée à Baudelaire, retracer l’itinéraire existentiel de ce poète qui, songeant fraternellement à un autre errant désœuvré, confie à Poulet-Malassis Je me suis senti attaqué d’une espèce de maladie à la Gérard, à savoir la peur de ne plus pouvoir penser, ni écrire une ligne ». On referait avec profit la genèse de cette impuissance littéraire ». Dans une lettre encore, Baudelaire ne cache pas à sa mère l’effroi dans lequel le précipite, en effet, cette idée folle ». Le désœuvrement, c’est-à-dire l’absence d’œuvre. L’impossibilité de faire » - comme le dit Le Mauvais Moine - Du spectacle vivant de ma triste misère / Le travail de mes mains et l’amour de mes yeux ». Respectant le contrat propre à ces deux Journées d’études », je me contenterai ici de reprendre à mon compte l’hypothèse qui conclut votre article sur la difficulté créatrice » - hypothèse selon laquelle Baudelaire traiterait cette impuissance comme l’un des objets de sa poésie ». Baudelaire, écrivez-vous, ne cesse de s’ausculter. Il se demande jusques à quand l’accompagnera la Muse malade. » Si vous soulignez à juste titre qu’il n’est pas, dans notre poésie, le premier membre de la famille des inspirés maigres », ceux qui craignent toujours de voir tarir leur inspiration », vous différenciez cependant Baudelaire de Du Bellay, Vigny, Nerval, en affirmant, qu’avant lui, jamais la poésie ne s’était prise elle-même, systématiquement, pour objet de la création ». C’est cette hypothèse que je voudrais donc mettre à l’épreuve d’une relecture - aussi peu systématique » que possible... - des Fleurs du Mal. En commençant par rappeler l’évidence selon laquelle ce livre - affirmant, dans son titre même, la lettre de son projet - se propose bien de se demander - la poésie se faisant, vous savez, à coups de questions sans réponse - comment le mal peut donner naissance à des fleurs. C’est d’ailleurs le premier argument qui vient, et non sans une ironique insolence, à l’esprit de Baudelaire quand, à la demande de Poulet-Malassis, il rédige, en 1860, des essais de préface » pour la réédition de son livre condamné Des poëtes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d’extraire la beauté du Mal. » Ce que vous appelez le fort oxymoron » de ce titre met au programme, et d’entrée de jeu, la difficulté de faire de la création avec de la destruction. De donner un ordre au chaos. De figurer le négatif dans la poésie. Le Mal lui-même devient une origine. N’est-ce pas le paradoxe d’une floraison, maladive autant que maudite, que notre poète entend tenir dans le rythme dont se soutient, et de part et en part, le livre que commande un tel titre ? Ce Mal, la première section des Fleurs commence par lui redonner son nom de maladie le spleen. Pensant encore choisir Les Limbes comme titre pour son livre, Baudelaire a précocement identifié la tension propre à toute sa poétique. Le livre » que, en juin 1850, il annonce dans Le Magasin des familles n’est-il pas significativement destiné à représenter les agitations et les mélancolies de la jeunesse moderne » ? Dès son commencement le rythme-Baudelaire met en circulation dans le poème l’instable énergie du sujet dépressif. Le 9 avril 1851, Baudelaire n’hésite pas à redire, dans Le Messager de l’Assemblée, que Les Limbes sera un livre destiné à retracer l’histoire des agitations spirituelles de la jeunesse moderne ». Il n’a pas encore trouvé son titre. Sa poétique l’a déjà trouvé. C’est l’invention d’une historicité singulière. L’avènement d’une irréductible modernité. Celle du sujet agité qui fait de la mélancolie le mouvement même de son poème. Expérience d’une pression propre à la dépression. Expression d’une énergie qui fera pousser le poème à même la décomposition. Dressant le bilan d’une jeunesse » qui ne fut qu’un ténébreux orage », un sonnet comme L’Ennemi montre comment le ravage » peut paradoxalement constituer une chance de renaissance Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve / Trouveront dans ce sol lavé comme une grève / Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? » La poétique baudelairienne de l’énergie créatrice contient, vous savez, son propre paysage. La comparaison du poème à une fleur implique de prendre au sérieux ce que dit le poète à propos de sa façon de cultiver son livre-jardin. Il convient, pour comprendre le choix que va faire Baudelaire d’une énergie maudite, de mettre en regard les deux paysages que proposent, d’une part, L’Ennemi et, d’autre part, La Rançon. Faisant parti des Douze poèmes primitivement envoyés à Gautier, La Rançon montre à quoi auraient pu ressembler des fleurs du Bien », religieusement cultivées sous le regard de Dieu, plutôt que ces fleurs maladives » que Baudelaire aura finalement offertes au patron de /s/a détresse », Satan. Dans La Rançon l’homme » a, vous savez, vocation à défricher, avec le fer de sa raison », deux champs au tuf profond et riche » L’un est l’Art, et l’autre l’Amour ». Arrosant ces deux champs avec les pleurs salés de son front gris », le bon cultivateur espère montrer », au jour du Jugement, des granges / Pleines de moissons, et des fleurs / Dont les formes et les couleurs / Gagnent le suffrage des Anges ». Nous voici bien loin des mélancoliques convulsions de la jeunesse moderne qui font, vous vous en souvenez, le programme de ce livre que, dans ses notes pour son avocat, Baudelaire, présentera, en 1857, comme un livre destiné à représenter L’AGITATION DE L’ESPRIT DANS LE MAL ». Ce livre atroce », selon la fameuse formule que, en février 1866, notre poète inscrira dans une des dernières lettres de sa vie consciente. Baudelaire n’a finalement intégré La Rançon à aucune des versions successives des Fleurs du Mal. Dès l’édition de 1857 la problématique exposée par ce poème se trouve présente, et de tout autre façon, dans le sonnet qui précède immédiatement L’Ennemi. Le sujet qui parle dans Le Mauvais Moine s’avance en effet comme le double antithétique du bon cultivateur. Il se définit lui-même comme mauvais » au sens où, moine fainéant », il se découvre radicalement incapable de travailler la terre. De travailler de ses mains. Figure du poète sans œuvre, ce mauvais cultivateur ressent avec d’autant plus de culpabilité son impuissance qu’il se souvient de ces temps où du Christ florissaient les semailles ». L’acédie dont souffre, à l’évidence, ce mauvais cénobite » fait de lui le frère du sujet poétique qui tente, en cultivant précisément des fleurs du Mal », de donner sens à sa coupable paresse. Baudelaire ne peut choisir d’interpréter la mélancolie comme une énergie moderne qu’en imaginant une nouvelle mythologie de l’énergie créatrice. Qu’en assumant de renverser en négatif ce que l’ancienne mythologie présentait, jusqu’à lui, comme positif. Des Fleurs du Bien aux Fleurs, oui, du Mal. Il y va, comme toujours avec le poème, d’une réinvention des valeurs. Sous couvert d’enquêter sur l’inspiration, ce sont ainsi tous les premiers poèmes de Spleen et Idéal qui travaillent à reconfigurer ce nouveau paysage mental. Les commentaires dont, dans l’édition Pléiade, vos notes accompagnent ce cycle inaugural de l’inspiration » montrent que cette décision de rompre avec l’ancien ordre des choses ne va pas, dans l’ouverture même du livre, sans remords. Baudelaire ne dissimule pas ses nombreuses résistances à faire poétiquement le deuil des époques nues » dont il aime », en effet, le souvenir ». Il n’y en a sans doute que d’autant plus de prix à assister à cette violente mise en place d’une autre poétique. À cette instable articulation du spleen et de l’idéal. À cette perturbante promotion d’un idéal intégrant le spleen. Énergie subversive que, faute de mieux, le poète nommera mon rouge idéal ». Nom sans nom de l’obscur ennemi » auquel doit, désormais, faire une place cette âme vide » que, à la fin presque du livre, Horreur sympathique révélera comme celle d’un nouvel Ovide. Insatiablement avide », vous savez, de l’obscur et de l’incertain ». Éprouvant désormais la mélancolie comme énergie créatrice, le sujet moderne doit renoncer à ses tentatives d’élévation. Surmonter son désir de trouver une aile vigoureuse » pour s’élancer vers les champs lumineux et sereins ». Icare cassé, le poète ne peut que pleurer sur ses rêves d’ un libre essor ». Et, comme Le Tasse dans le tableau de Delacroix, mesurer l’escalier de vertige où s’abîme son âme ». C’en est fini de cette agilité » qui, dans l’ancienne mythologie, permettait à l’homme et la femme » d’exercer la santé de leurs nobles machines ». Le sujet de la mélancolie moderne reste inconsolable de perdre de vue ces temps merveilleux où la Théologie / Fleurit avec le plus de sève et d’énergie ». L’ultime Projet de préface » se résigne à regret à présenter Les Fleurs du Mal pour ce qu’elles sont. Un produit discordant de la Muse des Derniers jours ». Pour comprendre les raisons historiques de cette nostalgique fascination, il n’est, par exemple, que de revenir au poème qui relie Correspondances aux Phares. Ce n’est pas sans répulsion que le Poète » qui parle dans J’aime le souvenir de ces époques nues se force à concevoir » la poétique moderne du sujet. Nous avons, il est vrai, nations corrompues, / Aux peuples anciens des beautés inconnues / Des visages rongés par les chancres du cœur, / Et comme qui dirait des beautés de langueur ; / Mais ces inventions de nos muses tardives / N’empêcheront jamais les races maladives / De rendre à la jeunesse un hommage profond. » Dans la mythologie de la vie moderne dont Baudelaire s’efforce désormais de mettre en œuvre le programme poétique il s’agit de faire rimer langueur et vigueur. De trouver une langue, comme dirait Rimbaud, pour cette pauvre muse » aux yeux creux ». Maintenant qu’elle est malade », sa manière de parler ne peut pas ne pas être profondément affectée. Autre corps, autre rythme. D’où cette déception de constater qu’il ne sert plus à rien, vous savez, d’adresser encore à la Muse ancienne pareille prière surannée Je voudrais qu’exhalant l’odeur de la santé / Ton sein de pensers forts fut toujours fréquenté, / Et que ton sang chétien coulât à flots rythmiques / Comme les sons nombreux des syllabes antiques, / Où règnent tour à tour le père des chansons, / Phœbus, et le grand Pan, le seigneur des moissons. » C’est en effet avec paysages parisiens » que, dans l’édition de 1861, le poète de la vie moderne devra composer » d’autres églogues ». Il appellera donc Muse, les fleuves de charbon » que chaque citadin voit monter au firmament ». Fantasque escrime » que ces hasards de la rime » qu’il faut désormais apprendre à flairer dans tous les coins » et recoins du vieux faubourg ». Le paysage de la nouvelle mythologie de l’énergie créatrice n’est plus, en 1861, le jardin de l’Ennemi où reste bien peu de fruits vermeils ». Mais la ville de Crépuscule du soir où la Prostitution s’allume dans les rues ». Dans Spleen et Idéal, un poème de l’édition de 1857 me paraît significativement faire la transition entre ces deux mythologies du rythme. Dans Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive le sujet baudelairien participe à la fois du régime antique et du régime moderne de la beauté. Sa propre pensée se trouve, et dans son intimité même, activement traversée par cette division. Si le corps vendu » de la prostituée près de laquelle il est étendu » porte - au point d’être comparé à un cadavre » ! - les marques morbides du corps moderne, en revanche, la triste beauté dont /s/on désir se prive » se caractérise par la majesté native » propre, selon l’érotique baudelairienne, aux femmes antiques. Aussi l’activité fantasmatique du sujet désirant privilégie-t-elle encore, chez la reine des cruelles », son regard de vigueur et de grâces armé, / Ses cheveux qui lui font un casque parfumé, / Et dont le souvenir pour l’amour /l/e ravive ». Ce n’est qu’avec l’édition de 1861 que s’accomplit définitivement cette difficile rupture avec l’ancienne mythologie de l’énergie créatrice. Si l’ajout de la section Tableaux parisiens à la primitive architecture » des Fleurs constitue, pour la poétique baudelairienne, un tournant, n’est-ce pas parce que, dans ce nouveau paysage où circulent des corps à la beauté défigurée, tout, même l’horreur, tourne aux enchantements » ? La fascination que va, par exemple, éprouver le sujet pour les petites vieilles » révèle une irréversible conversion du désir baudelairien. Une définitive identification du sujet à ces ruines » qui constituent, désormais, sa famille ». Une radicale acceptation d’une autre énergie. Énergie créatrice en voie d’épuisement. Énergie détraquée caractérisant la pensée propre aux cerveaux congénères » de ces Éves octogénaires » qui valent, pour parler comme Jean Starobinski, comme répondants allégoriques » du poète. Ce sujet qui n’hésitera, vous savez, à se comparer à ces femmes sensibles et désœuvrées » postant des lettres à des chers disparus, a sans doute fini par ne plus trouver autre chose, dans l’écriture, qu’une énergie pour la mort. Changement de décor et de corps, la substitution du vieux Paris » à la Nature de l’idylle traditionnelle correspond donc au passage du régime ancien au régime moderne de l’énergie poétique. Dépression de l’expression. Une énergie destructrice présidera, désormais, à l’activité créatrice. La mélancolie comme origine du lyrisme à venir. C’est le nouveau pacte que, au seuil des Tableaux parisiens, scelle un poème comme Le Cygne. Puisque rien ne bouge dans sa mélancolie, le sujet baudelairien choisit de faire de cette immobilité bilieuse le paradoxal mouvement de son poème. C’est par son désœuvrement même que ce sujet vacant va s’ouvrir à la négativité dont s’avère irrémédiablement affectée la vie moderne. Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie ». Allégorie de quoi ? De cette énergie à rebours dont, faisant le deuil de la vigueur antique, Baudelaire comprend que, non seulement elle caractérise la langueur moderne, mais qu’elle constitue surtout la matière explosive propre à son expérience de l’impossible. Cette expérience de quiconque a perdu », comme le rappelle Le Cygne, ce qui ne se retrouve / Jamais, jamais ». Écrivant de tels tableaux parisiens », Baudelaire sait, en 1859, qu’il ne retrouvera jamais cette positivité mythique de l’ancienne énergie à quoi, dans son ambition la plus aveuglée, a pu prétendre encore le lyrisme romantique. Dans les plis sinueux des vieilles capitales », la souveraineté n’est plus l’affaire d’une présence solaire et opulente. Barbe, œil, dos, bâton, loques ». Le poète doit faire avec l’absence, la nuit, le manque. Le rythme compose avec un poème amaigri. Le sujet lyrique a désormais le souffle court. Le souffle coupé. Comme, devant l’apparition de ces spectres baroques », le promeneur épouvanté qui parle dans Les Sept Vieillards. Ce sujet hanté par les fantômes parisiens » qui - à l’insu des monstres disloqués » dont il surveille » les mouvements de marionnettes » - goûte », vous savez, des plaisirs clandestins ». Les petites vieilles » qui sont la proie de son voyeurisme deviennent en effet l’allégorie de cette énergie à l’envers auquel le poème va désormais demander son bizarre élan. Ce mouvement renversant fait la fascination du rôdeur parisien » qui, entrevoyant un fantôme débile » pendant sa promenade, imagine que cet être fragile / S’en va tout doucement vers un nouveau berceau ». L’énergie ruineuse qui met en branle le lyrisme moderne est celle qui, dans la vieillesse même, recherche une autre renaissance. Telle est la poétique oxymorique que, et de plus en plus résolument, Baudelaire va, dans Les Fleurs du Mal, mettre en œuvre. Dès le second poème des Tableaux parisiens cette problématique était déjà posée. En effet, dans Le Soleil, l’astre du jour est comparé au poète » en ce que, conformément à l’antique mythologie, il éveille dans les champs les vers comme les roses », mais aussi en ce que, conformément à la mythologie moderne, il descend dans les villes » pour ennoblir le sort des choses les plus viles ». Et, dans cette seconde perspective, la moindre de ses actions n’est pas, vous vous en doutez, de rajeunir les porteurs de béquilles ». De les rendre gais et doux comme des jeunes filles ». Peut-être, recevant Les Fleurs du Mal, Flaubert fut-il aussi sensible au singulier renversement auquel travaillait un tel livre. Il remercia significativement Baudelaire d’avoir trouvé le moyen de rajeunir le romantisme ». Pareille poétique du rajeunissement ne vous paraît-elle pas caractériser l’invention propre au sujet baudelairien pour redonner au lyrisme moderne une autre énergie ? L’énergie noire d’une vitalité convulsive. C’est la vitalité sans vitalité de l’Ennui » qui, dès Au Lecteur, permet, dans un baîllement », d’avaler le monde. L’obscure vitalité de l’orage qui, dans L’Ennemi, creuse des trous grands comme des tombeaux ». La vitalité rouge de Lady Macbeth que L’Idéal présente comme une âme puissante au crime ». C’est encore, bien sûr, la répugnante vitalité de la carcasse » en décomposition » dont les vivants haillons », dans Une Charogne, dégoulinent de larves ». La vitalité mortifère qui, dans leur fureur », pousse les amants ulcérés » de Duellum à transformer en duel leur duo. Afin d’éterniser l’ardeur de /leur/ haine ». La vitalité résurrectionniste qui fait jaillir toute vive une âme qui revient ». Quand parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient ». La vitalité fêlée de la voix du sujet lyrique. Quand elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits », cette voix impossible ressemble au râle épais d’un blessé qu’on oublie / Au bord d’un lac de sang, sous un grand de tas de morts / Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts ». La vitalité spleenétique de ce jeune squelette » au désir désastreux - de ce cadavre hébété / Où coule au lieu de sang l’eau verte du Léthé ». La vitalité sadique de cet amant masochiste qui, dans L’Héautontimorouménos, menace de frapper sa partenaire sans colère / Et sans haine, comme un boucher », pour faire, dans ses pleurs salés », nager son désir gonflé d’espérance ». La dévorante vitalité de la vie même qui finit par signifier son arrêt de mort au vieux lâche » qu’incarne, selon L’Horloge, le sujet du désir. De cette ruineuse vitalité le sujet baudelairien a donc éprouvé qu’elle est autant l’énergie de l’ennui que le travail de la mort. Ce lyrisme négatif a, comme vous savez, le dernier mot dans Les Fleurs du Mal. C’est celui, par exemple, d’un des ultimes poèmes apportés par l’édition posthume de 1868. Madrigal triste contient, en effet, la formule de cette vitalité maudite dont Baudelaire aura choisi de ne pas protéger sa propre expérience poétique L’orage rajeunit les fleurs. » Dans le jardin que cultivait en secret le poète qui parle dans L’Ennemi l’orage avait fait un tel ravage » que, vous vous en souvenez, la pousse même de fleurs nouvelles » paraissait menacée. La Mort des artistes concluait encore l’édition de 1857 sur l’étrange espoir que, comme un Soleil nouveau », la Mort fasse, dans le cerveau » des créateurs, s’épanouir les fleurs ». Paru pour la première fois en mai 1861, Madrigal triste tire de cette poétique de la destruction créatrice la radicale conclusion que je viens de vous rappeler. Encore convient-il de noter que si l’orage rajeunit les fleurs », c’est comme les pleurs / ajoutent un charme au visage ». Le sadisme propre au sujet baudelairien trouve dans ce madrigal à rebrousse-poil l’occasion d’une de ces galanteries » qui font souvent de son lyrisme amoureux un exercice de la cruauté. C’est d’ailleurs dans un des poèmes significativement recueillis dans Galanteries que, et dans toute sa crudité, vous trouverez l’ultime expression, sans doute, de ce désir quasi tératologique pour une femme que l’âge a commencé de changer en vieux monstre ». S’adressant à sa vieille infante » le sujet confesse, en effet, préférer, aux fleurs banales du Printemps », les fruits » de l’ Automne ». Trouvant des grâces particulières » à cette carcasse » qui n’est plus celle d’ un tendron », il s’avoue fasciné par sa jambe musculeuse et sèche » qui, malgré la neige et la dèche », sait danser les plus fougueux cancans ». Composé en 1866, Le Monstre, un des derniers poèmes en vers de Baudelaire, propose une version agressivement satirique de cette énergie négative qui me paraît donner son rythme au lyrisme convulsif dont est traversé, de part en part, un livre comme Les Fleurs du Mal. Ce poème aux allures de galanterie scandaleuse n’a d’ailleurs pas d’autre conclusion qu’une cynique ? provocation. Le sujet baudelairien justifie sa passion pour cette très chère » qui n’est plus fraîche ». Dans ce vieux chaudron », bouillonnent » encore les énergies du désir Le jeu, l’amour, la bonne chère ». Voici la dernière déclaration d’amour d’un poète fasciné jusqu’au sarcasme par la beauté décomposée Voulant du Mal chercher la crème / Et n’aimer qu’un monstre parfait, / Vraiment oui ! vieux monstre, je t’aime ! » ... La rêverie critique dont lui vient son mouvement arrivant maintenant à son terme, je voudrais revenir au commencement de cette lettre qui m’a permis - cher Claude Pichois - de relire avec vous quelques-uns des poèmes où Baudelaire a singulièrement aiguisé, dans Les Fleurs du Mal, les paradoxes propres à l’énergie lyrique. Si persistait malgré tout » - comme vous l’écrivez dans votre étude intitulée L’Univers des Fleurs du Mal » - dans l’édition de 1857 une jeunesse confiante », il me semble que, perdant cette confiance, précisément, dans la jeunesse même du poème, l’édition de 1861, et, avec plus d’ironique cruauté encore, les vers apportés par l’édition posthume de 1868, prenaient acte d’une double vieillesse de l’expérience et de l’expression. Ce brusque vieillissement ne me paraît pas sans lien, vous l’aurez compris, avec une difficulté créatrice » dont, et l’un des premiers, vous aurez fait remarquer que, chez ce poète étrangement désœuvré, elle constituait le rythme d’une écriture en chute libre dans les gouffres de sa propre impuissance. Je continue d’être, vous le savez, bouleversé par la réplique que, sentant chaque année davantage la parole lui manquer, Baudelaire choisit d’opposer à ce qu’il aura sans doute vécu comme un défaut fondamental de sa pensée. Le poète au cerveau ruiné n’aura pas trouvé d’autre remède à sa maladie secrète » que de donner la parole à cette énergie noire dont chaque poème tente, pourtant, de sublimer la ravageuse puissance. S’adressant à sa mère le 6 mai 1861 - et c’est une des lettres les plus cruciales pour une intime compréhension de Baudelaire - il formule significativement cette interrogation qui vaut pour son œuvre parce qu’elle vaut pour sa vie Le rajeunissement est-il possible ? toute la question est là ? » Choisissant de faire de la création avec de la destruction, Baudelaire reste moderne parce que sa poésie ne sépare jamais la rime et la vie. Il comprend, entre 1857 et 1861, que son destin lui fait une intraitable obligation incorporer à sa parole elle-même l’énergie négative de l’autodestruction qu’implique la radicale expérience de l’impossible dans laquelle sa propre existence l’aura dramatiquement engagé. Quand paraît - toujours privée, bien sûr, des six pièces condamnées par le procès de 1857 - l’édition de 1861, Baudelaire a quarante ans. Il a plus de souvenirs que s’il avait mille ans. Les photographies que l’on connaît de lui montrent un visage détruit. Il vient de recueillir dans Tableaux parisiens ses plus beaux poèmes - et quelques-uns comptent, encore, vous le savez, parmi les plus admirables de toute notre poésie. Ces poèmes, on n’a pas assez remarqué que Baudelaire les a littéralement arrachés, me semble-t-il, au désastre. Certains d’entre eux contiennent même une prophétie de la catastrophe à venir. Ce n’est plus du jeu, la poésie. Ça ne l’a jamais été. Le noir tableau » que, dans son sommeil troué de cauchemars, voit le sujet qui tente, dans Le Jeu, de redonner un sens à son effroi, ce rêve nocturne » se passe de commentaire. Baudelaire y voit la limite de son ultime pari poétique, rajeunir sa façon de vivre et d’écrire en accueillant les énergies mortifères de la vieillesse. N’avait-il pas accompli, et dès les premiers poèmes finalement recueillis dans l’édition de 1857, la même opération avec les puissances convulsives du spleen ? Il se découvre dans, Le Jeu, définitivement séparé de la vitalité fiévreuse de ces courtisanes vieilles » comme de la funèbre gaieté » de ces vieilles putains ». Enviant de ces gens la passion tenace », le voici déjà voué au vide dont, avant même l’aphasie de 1866, il pressent qu’il a déjà commencé de l’envahir. La difficulté créatrice est, pour reprendre - cher Claude Pichois - vos propres termes, tellement devenu l’objet » de sa poésie que Baudelaire lui-même n’est plus, dans ce poème, qu’un objet, en effet, de la difficulté d’être et de parler. Vous connaissez ces vers où le sujet baudelairien se dédouble de la plus irrémédiable façon Moi-même, dans un coin de l’antre taciturne, / Je me vis accoudé, froid, muet ». Toulouse, 28-31 octobre 2002 9 janvier 2005

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  • dans les plis sinueux des vieilles capitales